Palais du Shadowsong > Le palais des ombres solitaires

Auteur : Aurel
15/08/06 10h49 | 42 Desertan 3724

Article extrait de l’Écho Galacticain du 40 Desertan 3724

Suite à l’offensive menée hier contre le Shadowsong, la mort du jeune Warren a été confirmée par les forces du Conseil. L’Archimage Althor Terluan, revenu spécialement d’un voyage d’études qui l’occupait depuis plusieurs semaines, s’est déclaré pleinement satisfait par la tournure prise par les événements, et a tenu à congratuler personnellement les meneurs de l’offensive ayant permis « la fin du règne de la terreur ». Le corps du Shadowsong a été retrouvé dans son palais et authentifié par l’Archimage lui-même. « Nous sommes maintenant débarrassés de notre plus grande peur », a-t-il déclaré avec le sourire. « Les principaux complices du Shadowsong ont été abattus ou capturés, et les fuyards seront bientôt rattrapés. »

L’Archimage Terluan a également affirmé qu’il avait l’intention de dépêcher une section d’assaut du Conseil au palais Vertanien du Shadowsong, afin de débarrasser ce sanctuaire de tous les artefacts maléfiques qu‘il abrite. Rappelons qu’à l’issue de la précédente guerre des Ombres, des tentatives similaires avaient été lancées en ce sens par Asakaï Shingaz, et s’étaient terminées par un vaste fiasco. A ce sujet, Althor Terluan a déclaré : « Shingaz était un traître, on ne peut savoir ce qu’il a abrité dans ce Palais il y a quinze ans. Aujourd’hui, il est mort, et j’entends bien découvrir ce qu’il mijotait avec le Shadowsong. »

Auteur : Aurel
15/08/06 11h00 | 42 Desertan 3724

Palais du Shadowsong, 41 Desertan 3724

Iriana referma la lourde porte derrière elle et les neuf autres membres du groupe. Ils se retrouvèrent aussitôt plongés dans la pénombre. Peu à peu, leurs yeux s’accoutumèrent à l’obscurité. Ils se tenaient dans un vaste hall d’entrée. Face à eux, un grand escalier de pierre, ainsi que deux ou trois portes. Iriana savait le sol tâché de sang : c’était ici que l’on avait découvert le cadavre encore chaud du Shadowsong, aux côtés de celui d’une inconnue. Un précédent groupe d’intervention avait emmené le corps de l’Edar maléfique à l’extérieur du Palais, mais n’avait pas touché à l’autre. Ce travail, on le leur avait laissé.

La jeune femme frissonna. Elle avait un mauvais pressentiment. Elle savait tout ce qui était arrivé d’horrible aux mages chargés de fouiller ce palais maudit, quinze ans auparavant. Et bien qu’elle soit maintenant certaine que le Shadowsong était bel et bien mort, elle ne pouvait s’empêcher de craindre ce qui allait suivre.

A cet instant, le chef de leur escouade, un dénommé Towers, créa une petite flamme. Iriana poussa alors un cri de stupeur : le deuxième cadavre, celui qu’ils devaient ramener, avait disparu. Le sol avait été nettoyé, on ne voyait plus trace de sang.

- On continue l’exploration, annonça simplement Towers.

Auteur : Aurel
15/08/06 16h48 | 42 Desertan 3724

Le groupe d’intervention referma une nouvelle porte derrière lui. Cette succession de couloirs n’en finissait pas. Les souterrains du Palais devaient s’étendre sur des kilomètres à la ronde, songea la jeune mage du Conseil.

Cela faisait au moins deux ou trois heures qu’ils marchaient, sans but précis. Ils avaient visité un nombre incalculable de chambres, de bibliothèques, et d’autres salles dont-ils n’avaient pas saisi la fonction. Certaines pièces étaient fermées, et malgré tous leurs efforts, ils n’avaient pu briser les sortilèges qui en défendaient l’accès. Malgré la disparition du Shadowsong, toutes les défenses n’étaient pas tombées, et il leur faudrait probablement des mois, voire des années, pour percer tous les secrets de ce palais.

Towers leva la main, leur faisant signe de s’arrêter.

- Vous ne remarquez rien d’étrange ? leur demanda-t-il à voix basse.

Iriana regarda autour d’elle. Non, rien de particulier. Un couloir exactement semblable à ceux qu’ils venaient de traverser. Oui, exactement semblable. Au moindre détail. Étrange, en effet. Inquiétant, même.

- On tourne en rond, répondit-elle.
- Exactement. Et comment expliques-tu ça ?

Iriana ne répondit pas. C’était inexplicable. Leur sens magiques devraient leur permettre de s’orienter sans aucun problèmes, même au fin fond d’un souterrain.

- Ce palais doit troubler nos repères, lança un des membres du groupe.
- Peut-être, répondit Towers. J’espère que ce n’est que cela. Continuons, mais restons sur nos gardes.

Auteur : Aurel
17/08/06 17h16 | 44 Desertan 3724

Noir


Toutes les lumières s’éteignent d’un seul coup. Iriana ne voit plus rien, n’entend plus rien. Tout a disparu en un instant.

- Vous êtes là ? demande-t-elle d’une voix craintive.

Inutile d’attendre une réponse. Elle sait déjà qu’elle est seule. Elle ne ressent plus leurs auras. Elle ne ressent plus rien.

Iriana se sent prise dans des filets géants. Tout cela est anormal. Que s’est-il passé ? Qu’est-il arrivé ? Où sont-ils partis ? La jeune femme se sent oppressée, comme si on l’observait. Elle allume un feu magique, et son inquiétude redouble, se muant en une peur presque panique : elle sent la chaleur de son feu, mais celui-ci ne dégage aucune lumière.

Iriana court à l’aveuglette. Elle fuit, fuit, fuit, sans savoir où elle va. Elle veut partir, elle veut quitter au plus vite ce lieu maudit. Ses larmes commencent à couler. Elle n’aurait jamais dû accepter cette mission, elle aurait dû savoir que ce palais serait plus fort qu’elle.

Iriana court toujours, sans s’arrêter, dans ce néant infini. Elle heurte un obstacle et s’effondre au sol. Un filet de sang chaud coule de son front. Elle se relève et repart, sourde à sa douleur. Elle veut partir, elle doit partir.

- Où êtes-vous ?! crie-t-elle à la ronde.

Inutile. Elle sait déjà que personne ne l’entendra. C’est fini, elle va errer ici pour toujours. Elle mourra dans cette obscurité, sans jamais avoir revu la lumière du soleil. Sans jamais revoir de lumière.

Iriana se laisse tomber au sol. Inutile de continuer à marcher. Elle est perdue.

Un souffle de vent sur son visage. Une lueur d’espoir. L’air la guidera jusqu’à la sortie. La jeune mage se relève, reprend courage, et marche dans la direction du courant d’air. Elle ne se concentre que sur ce mince filet d’oxygène, tentant d’oublier la peur panique qui l’oppresse. Plusieurs fois, elle manque de perdre la piste, mais cherche avec obstination.

Finalement, je ne finirai peut-être pas ici, pense-t-elle. Quelle idiote, j’ai paniqué pour rien. Towers et les autres doivent m’attendre depuis un moment, se demandant ce que je fais…

Ça y est, elle voit quelque chose. De la lumière dans ce monde de ténèbres. Une porte.

Ce palais est vraiment étrange, se dit Iriana. Une zone toute noire, et maintenant une porte rouge. Voyons ce que nous avons de l’autre côté…

Auteur : Aurel
18/08/06 17h26 | 45 Desertan 3724

Derrière la porte, Iriana trouve une petite pièce dont les murs sont alternativement noirs et rouges. Au centre de ce réduit, une table de bois, sur laquelle sont posés une feuille de papier ainsi qu’une bougie allumée.

La jeune femme, intriguée, s’approche et lit la phrase inscrite sur la feuille :

« Ont erré, errent, erreront sans fin dans les dédales obscurs du Noir : Lanios et Calani. »

Stupeur.

Frayeur.

Lanios, Calani, que vous est-il arrivé ? Pourquoi n’avez-vous pas suivi Towers quand je me suis perdue, pourquoi n’avez-vous pas trouvé cette porte comme je l’ai fait ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? Qui a écrit cette phrase ? Qu’est ce papier ? Se joue-t-on de moi ?

Iriana sentit de nouveau le découragement s’abattre sur elle. Ce palais la rendait folle. Et si le Shadowsong n’était pas mort ? songe-t-elle avec horreur. Nous sommes dans son antre, nous sommes dans son piège…

Je dois fuir. Tout de suite.

Iriana cherche autour d’elle. Nouveau choc. Elle est coincée. Il n’y a pas d’autre issue.

- JE VEUX SORTIR D’ICI ! hurle-t-elle.

Elle se rue sur la porte, l’ouvre d’un grand coup d’épaule, et s’arrête, ébahie.

Auteur : Aurel
19/08/06 17h28 | 46 Desertan 3724

Rouge


Derrière la porte, plus de dédale obscur. Iriana se trouve dans une grande plaine aride, en plein milieu de la nuit. Au loin, on aperçoit une des chaînes de montagnes de Desertica. Face à elle, une maison en flammes.

Comme auparavant.

- Je ne comprends pas… dit-elle en sanglotant presque. Ce n’est pas possible…

La jeune femme s’approche de la maison. Aucun doute possible, c’est bien elle. Tout s’est passé exactement comme cela. Mais alors… Oui, ça y est, elle se voit, petite, pleurant à chaudes larmes à quelques mètres de la fournaise. Non, elle ne se voit pas petite, elle est la petite Iriana. Elle a peur, ses parents ne sont pas là. Ils sont toujours à l’intérieur, avec son petit frère. Vite, dépêchez vous, vous devez sortir !

Les flammes lèchent le toit, détruisent la charpente. Vite, vite, vite, vite, vite, vite, vite… Iriana scande ces mots, elle ne peut penser à rien d’autre. Vite, vite, ça va être trop tard… Non, c’est déjà trop tard, elle le sait, tout cela s’est déjà produit, rien ne peut changer, le destin est écrit, tracé, incontournable.

La poutre maîtresse tombe, le toit s’écroule. Hurlement. Son frère, ses parents…

Iriana tombe à genoux, pleurant des larmes brûlantes qui s’évaporent déjà. Elle est paralysée, elle revoit cette scène en boucle, ses pensées se brouillent.

Les flammes s’approchent d’elle à toute vitesse. L’herbe desséchée s’embrase en un instant, n’offrant qu’une piètre résistance à l’appétit vorace des flammes.

La robe blanche d’Iriana commence à roussir. La peur la bloque, elle ne peut pas réagir.

- Papa, Maman, venez m’aidez !!!

Rien ne vient. Ils ont déjà péri dans les flammes. Cela fait des années qu’ils ne sont plus là pour répondre à ses appels.

Des années ?

Oui, des années. Tout cela n’existe pas. Tout cela est déjà terminé depuis longtemps. Elle n’avait pas pu les sauver, elle ne le pourra pas plus maintenant. Ce n’est pas réel. Elle n’est plus cette petite Iriana paralysée par la mort qui approche.

Ça y est, elle a quitté ce petit corps trop frêle et trop chétif. Elle agrippe la petite Iriana et l’entraine au loin. Elle ne brûlera pas. Et ça, c’est vrai, elle le sait. Elle se sauve elle-même. Puis elle se sauve.

Tourner le dos à cette scène. Partir vite. Courir, encore et encore.

Choc. Un pieu, un immense pieu, à quelques mètres d’elles. Un bûcher. Nolona est attachée au poteau, les flammes lui lèchent les pieds. Hurlements.

- Tiens bon, je te détache tout de suite !

Seul un cri de douleur lui répond. Iriana court vers le bûcher, tente d’invoquer une pluie torrentielle, ou au moins un peu d’eau. Rien à faire, elle n’a pas de pouvoirs. Mais oui, bien sûr, elle n’a que cinq ans, elle vient juste de fuir l’incendie ! Que faire ?

Nouveaux cris de Nolona. D’un seul coup, l’incendie redouble d’intensité. Les flammes l’engloutissent. Encore une membre du groupe envoyé par le Conseil qui ne reviendra pas.

- Nooooon ! hurle Iriana à la lune. Pourquoi, pourquoi, Nolona ? Pourquoi être venue ici, pourquoi m’avoir suivie dans ces flammes ?! C’est mon passé, MON PASSÉ, n’y touche pas, tu m’entends ?!

Les larmes d’Iriana coulent de plus belle, véritable torrent, qui éteint les flammes du bûcher, découvrant le cadavre noirci de Nolona. A cette vue, la jeune femme pousse un cri de désespoir et se laisse tomber au sol.

- Pourquoi… Pourquoi n’ai-je pas pu donner cette eau plus tôt…

Les flammes sont de nouveau là, prédatrices infatigables. Se relever. Retomber. Allez, Iriana, relève-toi, tu dois continuer ! Je me relève. Encore un effort. Ces flammes ne m’auront pas. Je veux partir d’ici.

Une porte. Bleue. Vite, courir vers elle. La pousser.

Sauvée, songe Iriana.

Auteur : Aurel
16/10/06 17h30 | 29 Galan 3725

Bleu


Nouvelle petite salle. Nouveau désespoir. Cela n’en finira donc jamais ?

Ici, les murs sont rouges et bleus. Iriana reprend son souffle, tentant de se calmer. Elle redoute déjà ce qu’elle va lire sur la feuille posée sur la table.

Elle s’approche. Elle doit le faire. Elle doit savoir.

« Ont brûlé, brûlent, brûleront sans fin dans les fournaises du Rouge : Nolona, Gorthal. »

Alors, toi aussi, Gorthal, ce palais t’a eu… Nous ne sommes plus que six… Six fous qui se sont crus plus forts que le Shadowsong… Six fous qui risquent leur vie, et qui ne sortiront jamais de ce palais…

Iriana ne pleure même plus. Cette avalanche d’horreurs a eu raison de sa résistance, elle assiste maintenant, en simple spectatrice, à l’effondrement du monde qui l’entoure.

La jeune femme regarde autour d’elle. Dans cette pièce, pas d’autre issue que la porte par laquelle elle est entrée. Elle s’approche d’elle, pose la main sur la poignée. Doit-elle ouvrir ? Ne serait-il pas plus simple de renoncer, d’attendre ici que la mort vienne la chercher ?

Iriana tourne la poignée. Elle pousse la porte.

Aussitôt, des tonnes d’eau se ruent dans la petite salle et l’emplissent totalement, éteignant à jamais la bougie qui éclairait les noms de Nolona et de Gorthal. Il fait sombre, Iriana ne voit plus rien. Elle sent simplement la masse aqueuse monter à toute vitesse.

Ça y est, l’eau a atteint le plafond. Iriana commence à suffoquer. Vite, elle nage à l’extérieur de la pièce dans laquelle elle est enfermée et tente de regagner une hypothétique surface.

Ses forces la quittent. Ses poumons vont exploser. Une sourde douleur bat dans ses tempes. Elle ne distingue toujours rien. Elle étouffe, elle va mourir. Pourquoi continuer à lutter ? Ce Palais va la tuer. Pourquoi résister ?

Iriana crève la surface et aspire une grande goulée d'air. Une vague en profite pour s'engouffrer dans ses poumons. La jeune femme tousse et crache. Elle retombe sous l'eau, fait de nouveau l'effort de remonter. Elle regarde autour d'elle. Elle est perdue au beau milieu d'un océan, à quelques centaines de mètres d'une petite île.

Iriana nage tant bien que mal dans sa direction. Elle est épuisée physiquement et mentalement, ses membres la font souffrir.

Elle prend pied sur la petite île. Celle-ci fait tout au plus un ou deux kilomètres carrés. Pas âme qui vive. La jeune femme s'assoit sur le sable humide et mêle ses larmes aux gouttes de pluie qui commencent à tomber. Quelques minutes plus tard, c'est un véritable déluge qui s'abat sur elle. La tempête fait rage. Le vent la fait ployer. Iriana s'abrite sous les arbres, mais cela ne la protège pas de la fureur des éléments. Le ciel entier semble se liguer contre elle. Au loin, elle aperçoit un éclair. Puis un autre. L'orage se rapproche. La jeune femme cherche un abri. Rien, rien, rien à perte de vue.

La foudre frappe un arbre. Puis un autre. La petite forêt s'embrase comme une torche. La pluie tombe sur Iriana, mais elle semble éviter le foyer ardent. La jeune femme se laisse ballotter par les éléments. L'incendie la repousse sur la plage. Le sable est maintenant devenu un champ de boue, dans lequel elle s'enfonce jusqu'aux genoux. Le feu gagne du terrain. Elle est repoussée à la mer. Elle doit quitter cette île. Elle doit quitter cet enfer.

Une immense vague fonce vers elle. Alors c'est fini, a-t-elle le temps de songer avant d'être frappée par la déferlante aqueuse.

Elle est de nouveau privée d'air. Elle tente une fois de plus de remonter. Mais où est le haut ? Où est le bas ? Où est la mort et où est le salut ? Où est l'air ? OU EST L'AIR ???

Mais ici, comprend Iriana. Autour de moi. Comment pourrait-il en être autrement ? Je suis dans le Palais des Shadowsong. Depuis quand y a-t-il un océan dans ce palais ? Depuis quand y a-t-il assez d'eau pour noyer quelqu'un ? Tout ceci est une illusion. Une énorme, impressionnante, magnifique illusion, mais seulement une illusion. Je suis toujours au Palais. Il n'y a pas d'eau autour de moi. Alors il me suffit de respirer.

Et Iriana inspire. Et l'eau pénètre dans ses poumons.

Et Iriana expire. Et l'eau quitte ses poumons.

Et Iriana inspire. Et l'eau pénètre dans ses poumons.

Et Iriana se sent mieux. Son mal de tête s'estompe. Peu à peu, elle comprend. Ce n'est pas par manque d'air qu'elle allait mourir, mais parce que, par crainte de l'eau, elle bloquait sa respiration. Ce n'est pas de l'eau qu'elle inspire. Ce n'est que de l'air. L'air vicié d'un palais vieux de mille ans.

La jeune femme voit l'eau disparaître. Elle ressent une étrange impression. Comme une moquerie. Mais cela aussi disparaît très vite. Il ne reste plus qu'une porte. Une porte verte.

Auteur : Aurel
21/10/06 15h43 | 34 Galan 3725

Vert


Pas du bonne surprise ici non plus. Iriana est résignée. Jamais elle ne quittera ce Palais. Ils vont tous y passer un par un. Déjà, Lanios, Calani, Nolona et Gorthal sont tombés. Ils n'étaient plus que six survivants du groupe envoyé par le Conseil. Et bientôt encore moins : dans cette petite pièce aux murs bleus et verts l'attend une feuille de papier.

« S'est noyé, se noie, se noiera sans fin dans les abysses du Bleu : Phyran »

Iriana ne pleure même plus. Elle se sent comme étrangement déconnectée de la réalité. A cette pensée, elle éclate de rire, d'un rire irrépressible et incontrôlable. Bien sûr qu'elle est déconnectée de la réalité. Tout cela n'est qu'une illusion. Ce n'est pas possible que ce soit réel, n'est-ce pas ?

Peu à peu, son rire nerveux se transforme en sanglots. Elle en a marre, elle ne veut plus continuer, ça ne sert à rien. Pourquoi ce Palais ne la tue-t-il pas directement ? Pourquoi lui imposer toutes ces souffrances ? Le Shadowsong était-il inhumain au point de vouloir la douleur des autres ?

La jeune femme se relève et marche vers la porte verte. Il lui faut continuer. Elle doit sortir d'ici. Coûte que coûte. Ce Palais ne l'aura pas.


La porte s'ouvre au beau milieu d'une forêt vierge. Il fait chaud et une pluie torrentielle s'abat sur les arbres. Iriana fait quelques pas, puis se retourne. La porte a disparu. La jeune femme s'assoit sur le sol et attend de voir ce qui va lui arriver. Porte verte. Le Bois. La nature. Qu'allait-on lui imposer ? Quelle torture naturelle avait-on conçue pour elle ?

Les vêtements de la jeune femme collent à sa peau, la pluie dégouline dans ses cheveux. Au fil des minutes, son inconfort s'accroît. Mais toujours rien ne vient. Iriana part d'un nouvel éclat de rire et parle à voix haute, comme s'adressant aux gigantesques arbres qui l'entourent :

Eh bien, mon petit Shadowsong, on dirait que tu fatigues, hein ? Ça fait cinq minutes que je suis dans cette illusion et tu ne m'as toujours rien envoyé d'autre qu'un peu de pluie ? Mon pauvre, t'es vraiment un raté... Allez, viens, je t'attends !

Pas de réponse. Quelle idiote, songe Iriana. Je parle toute seule. Je deviens folle. C'est peut-être ça qu'ils veulent, après tout... Peut-être que tout ça est uniquement conçu pour nous détraquer le cerveau. Peut-être que c'est à cause de ça que tant de mages qui étaient entrés dans ce Palais il y a quinze ans ont été retrouvés suicidés. Ou fous. Ou privés de leur âme. Ou morts...

Peut-être qu'après tout, Nolona, Gorthal et les autres ne sont pas morts. Peut-être que ce n'est qu'un moyen de lui faire péter les plombs.

Iriana secoue la tête. Non, ils sont morts. Bel et bien morts. Et ne reviendront pas l'aider. Si elle veut sortir de cet enfer, elle doit le faire par ses propres moyens. Et rester assise sous ces arbres pendant des heures ne l'aidera pas.

La jeune femme regarde plus attentivement la végétation autour d'elle. L'attaque va venir de là, elle en est persuadée. Le Vert... Elle ne parvient pas à comprendre comment des arbres peuvent lui nuire. Des plantes carnivores, peut-être ?

La jeune femme se relève. Ou plutôt elle essaye, mais sans succès. Elle est bloquée. Sa respiration s'accélère. Que se passe-t-il ? Elle regarde autour d'elle, et comprend. Mais trop tard. Les racines des arbres, les lianes qui en pendent, les fougères sur le sol, tout cela a discrètement formé une nasse autour d'elle. Les racines la clouent au sol, lui bloquant les jambes avec une force incroyable. La végétation autour d'elle est tellement serrée qu'elle se sent étouffer. Et les branches augmentent leur traction, les chênes la gardent prisonnière aussi sûrement que des chaînes.

Iriana se débat, tente de se dégager, mais elle ne peut rien face aux forces qui la retiennent au sol. Et les branches serrent de plus en plus, réduisant inexorablement son amplitude de mouvement. Des racines poussent du sol comme par magie et viennent lui bloquer les bras. La pression sur sa poitrine se renforce, la jeune femme commence à étouffer.

Elle invoque une petite flamme pour détruire cette nature qui l'enserre, mais le feu ne semble pas affecter les branches. Pire, il leur donne un regain de vigueur, tout en vidant les forces d'Iriana.

Alors c'est comme ça que je meure ? songe-t-elle. Quelle déception. Quelle ironie. Moi qui me croyait douée, je finis étranglée par des arbres. Pourquoi me suis-je assise ? Pourquoi n'ai-je pas prévu ça ? C'était tellement évident...

La vision de la jeune femme s'obscurcit. Ça y est, elle ne peut plus du tout respirer. Sa vie arrive à son terme. D'ici quelques secondes elle va rejoindre Nolona, Gorthal et les autres sur les sinistres épitaphes du Palais.

Elle ne voit plus rien. Elle ne ressent plus rien. Toute la douleur a disparu. Alors c'est ça, la mort ? C'est simplement se sentir partir ? Se détacher du réel ?

Sursaut de conscience.

Se détacher du réel ? Quelle blague. Elle n'est plus dans le réel. Elle n'est que dans une illusion. Il n'y a pas plus de forêt tropicale que d'océan dans le palais du Shadowsong. Il n'y a pas plus d'arbres qui étranglent que d'eau qui noie. Tout ça n'est qu'une gigantesque farce. Et même pas drôle, qui plus est.

Les arbres n'existent pas, se répète Iriana. Ils ne sont pas là. Ils ne sont pas réels. Ce n'est que mon imagination qui me joue des tours. Alors pensons autre chose. Ces arbres ne sont pas là. Ils ne sont plus là. En réalité, il y a une porte. Une porte qui me conduira loin d'ici.

Et la pression sur le corps de la jeune femme disparaît. Bien sûr, elle n'a jamais été là. Elle n'a jamais existé. Iriana ressent de nouveau la douleur. Elle a dû bloquer inconsciemment sa respiration à cause de l'illusion, et son corps en fait les frais. Elle perd connaissance.


Quand Iriana se réveille, la forêt a disparu. Il ne reste plus qu'une porte. Une porte jaune.