Annonces officielles > Création du Bureau des Aciéries Déserticaines

Les holojournalistes s’entassaient dans l’immense salle de conférence en amphithéâtre. Le décor rappelait la période Art Déco déserticaine, toute en courbes métalliques et fausses plantes en acier chromé. Les sièges ne semblaient pas avoir été conçus avec un souci de confort : eux aussi étaient… métalliques.

Les murmures se turent quand le Directoire des Membres Fondateurs du BAD entra dans la pièce. Il y eut un certain flottement quand les journalistes s’aperçurent que le Président-Directeur-Général grinçait en avançant. Le scoop promettait d’être juteux : historiquement, très peu de robots, voire, en fait, aucun, n’avaient pu accéder au rang exalté de PDG. Surtout pas des robots piquetés de rouille à la démarche saccadée.

Le PDG, qu’une plaquette devant sa chaise identifiait comme « Unité 10010 », s’installa puis attendit que ses collègues fassent de même en se versant un peu d’huile dans le bras gauche. Lorsque tout le monde fut prêt, il émit un grésillement rappelant un raclement de gorge, puis prit la parole d’une voix métallique et monocorde.

« Mesdames, Messieurs, Unités Intelligentes, bienvenue en ce jour de liesse. Aujourd’hui, vous avez le privilège d’assister à la création du Bureau des Aciéries Déserticaines. Considérez l’acier. Y avez-vous déjà pensé, réellement pensé ? »

Il fouilla sous le bureau, en sortit un lingot d’acier et le laissa tomber devant lui, à la vue de tous, produisant un son mat. Unité 10010 pointa une pince vers le lingot et reprit :

« Pensez ! Pensez à ces magnifiques atomes de fer et de carbone, liés par les forces de la Création elle-même ! Pensez à tous ces extraordinaires additifs au plomb et au mercure, protégeant la structure de la corrosion, de l’usure, que dis-je, du Temps lui-même ! Songez à l’humble minerai rougeâtre extrait de la fange, au feu purificateur séparant le noble métal des inutiles scories ! Imaginez des hauts-fourneaux entretenant jour et nuit des chaleurs titanesques, illuminant le firmament de cette incomparable lueur jaune-orangé ! »

Au fur et à mesure que l’Unité parlait, une odeur persistante d’huile brûlée se mit à envahir la pièce…

« Voyez-vous, Mesdames, Messieurs, Unités Intelligentes, la beauté indicible de ces milliers d’ouvriers aux plaques pectorales luisantes d’huile lubrifiante, accomplissant inlassablement l’alchimie de la transformation des métaux en acier ? Oui, en vérité je vous le dis, l’acier, c’est bien, l’acier, c’est la vie, l’acier c’est l’avenir ! J’ajouterai même que… que…
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l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie,
l’acier, c’est la vie »

Un silence gêné emplit la salle tandis que les Unités 110 et 10000101 emmenaient leur leader hors de vue. On put ensuite vaguement entendre des « klang klang » répétés.

Après un moment de flottement, une silhouette se plaça derrière le pupitre encore fumant. Sourire ultra-bright, brushing et costume de marque… Les journalistes du monde économique reconnurent immédiatement Gordon Berclay, connu dans le microcosme du high risk management comme : « Le Manager de l’Impossible ».

Après un sourire qui aveugla le premier rang, Gordon commença son allocution.


« Mesdames, Messieurs, comme l’a dit notre PDG, ce jour est historique. En effet, le BAD est le premier regroupement industriel de galactica ayant une optique customer-care.

Vous n’êtes pas sans savoir que le contexte déflationniste de la sphère steel-business est une nuisance autant pour le producteur que pour le consommateur.
Le BAD, issu de la fusion de cinq des prestataires leader de l’acier, a choisi de développer son core business et sa culture de transition/fusion dans une logique résolument pro-active. »

Les journalistes s’entre regardèrent, chacun essayant de deviner si les autres avaient compris quelque chose. Mais déjà, le rire de Gordon emplit la salle.

« Les plus avisés d’entre vous se demandent sûrement déjà comment le BAD, issu de cinq éléments hétérogènes, peut assurer un streamlining optimal ? Evidemment, il sera nécessaire de redéfinir référentiel et Business Units, afin de factoriser les compétences clés grâce au downsizing vertical du nouvel organigramme. La mise en place de process transverses intelligents, certifiés ISO, assurera notre logique de simplification.

Je vous le dis tout de go : Notre management est axé confiance ! »

Tous les journalistes se levèrent et applaudirent en bloc. Bryan Replay, éditorialiste au « Management Weekly » se tourna vers Kimberly Jones, analyste au « Business Investment » et s’exclama « cet homme est un maître ! Quelle clarté ! ». Mais déjà, Gordon reprenait :

« Pourquoi confiance ? C’est très simple : le BAD, et moi-même nous engageons à faire sortir l’acier de son contexte déflationniste. Beaucoup se contenteraient de baisser leur prix. Nous allons aller beaucoup plus loin : notre logique définitivement customer care placera le client en situation de proactivité. Le BAD, c’est avant tout des clients travaillant main dans la main avec un prestataire aux process pérennes certifiés CMMI3. »

Les flashes des appareils photographiques illuminèrent la salle tandis que Gordon laissait son allocution en suspens, adoptant une posture dynamique mais ouverte vers le public.

« Un mot pour conclure : Nous ferons de l’acier une industrie à forte valeur ajoutée, grâce à vous, grâce à nous, grâce à l’acier. Car l’acier, c’est avant tout des hommes, des robots et de la confiance ! »

Tandis que les vivats retentissaient dans la salle, Patrick Mc Callaway, directeur de la Galactican Central Management and Business School se leva sans un mot, une larme roulant sur sa joue burinée par les UV, murmurant pour lui-même : « l’élève a dépassé le maître… Je peux prendre ma retraite, à présent.»