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Auteur : Aurel
13/11/06 14h27 | 57 Galan 3725
C'est étrange... répétait-il. Vraiment étrange.
Il fixait depuis plusieurs heures un petit escargot qui tentait d'escalader un tronc d'arbre, au milieu d'une grande prairie. A perte de vue, la plaine s'étendait, vide, déserte.
Qu'est-ce qui est si étrange ? interrogea une voix de femme.
Le garçon se retourna, sans paraître surpris.
Bonjour, dit-il. Cela faisait longtemps.
Ces contrées sont vastes. Il n'est pas facile d'y trouver quelqu'un.
Pourquoi me cherchez-vous ?
Quelle réponse veux-tu ?
Le garçon baissa les yeux vers l'escargot et laissa le silence s'installer. Puis, tout bas :
Il serait trop naïf de demander la vérité, je suppose.
Inutile, surtout. Nous savons tous deux pourquoi je suis là.
Les yeux du garçon se fixèrent dans ceux de la femme.
Est-ce bien le cas ?
Celle-ci, sans se désarçonner, changea de sujet :
Qu'y a-t-il de si étrange dans cet escargot ?
Le garçon ne répondit pas. Enfin, il se releva et murmura :
Je me demande si cet escargot est conscient d'être la parfaite incarnation de l'absurdité de ce que nous sommes amenés à vivre.
Tu ne t'ennuies pas ici ?
Je suis tranquille.
Tranquille, hein ? Et... Ça te suffit ?
Étrange question.
Justifiée, pourtant.
Avez-vous quelque chose à me demander ?
Pourquoi les as-tu aidés ?
Je voulais le faire.
Tu voulais le faire... Tu es toujours aussi plein de surprises.
Évidemment. Vous ne pouvez rien d'autre que conjecturer. Tout ce qui ne rentre pas dans le cadre étroit de vos pensées vous rebute. Vous effraie.
Tu te trompes. Et tu le sais.
Oui, je me trompe, oui, je le sais. Mais tout cela n'a aucun sens. Pourquoi continuer ? Pourquoi essayer sans fin ce que jamais vous ne pourrez réussir ?
Cela aussi, tu sais que c'est faux.
Le garçon fixa longuement son interlocutrice. Il passa une main dans ses cheveux blanc neige et se laissa tomber dans l'herbe haute.
Je n'aurais pas dû les aider, c'est ça ?
Tu devais les aider. Car tu l'avais fait. Et car tu l'as fait.
Et vous pensez que je le referai ?
Ce que je pense importe peu.
Ce qu'il pense n'a pas force de loi.
Ce qu'Il pense a plus de valeur que ce que nous pourrions imaginer. Car rappelle-toi...
Oui, oui, je sais. Tout ça a été, tout ça est, tout ça sera. Mais... Imaginez que quelque chose change ? Imaginez qu'un grain de sable vienne enrayer la belle mécanique ?
Penses-tu cela possible ?
Sans répondre, le garçon attrapa d'un geste vif le petit escargot. Il tint sa coquille entre le pouce et l'index, et de sa main gauche, suivit la spirale qu'elle formait. Mais, quand il arriva au centre, il serra les doigts brusquement, faisant éclater la petite carapace. Il jeta un coup d'oeil à son interlocutrice, puis reposa l'escargot sur le sol.
Cette « démonstration » parvient à te convaincre ? lui demanda-t-elle.
Je ne suis pas du genre à m'en tenir à un symbole.
Alors tu agiras ?
Alors j'agirai.
Mais cela, nous le savions déjà tous les deux.
Oui, nous le savions déjà. Car j'avais agi.
Et car tu agiras.
S'il n'est pas trop tard.
Trop tard pour qui ?
Trop tard pour la carapace de ce grand escargot.
Alors tu penses que le centre approche ?
Le centre... où les doigts qui le briseront.
Les tiens ?
Les nôtres.
A qui penses-tu ?
A tous ceux qui respirent. Et à ceux qui ne respirent plus. Il est temps de s'enfuir. Il est temps de changer.
Mais cela, ...
Oui, je l'ai déjà dit. Mais je ne le redirai pas.
Tu es bien pessimiste...
J'appelle ça de l'optimisme. Et de la résolution.
Tu es plus vif que le précédent.
Et vous, plus bornée que... Plus bornée que vous-même. C'est à cela qu'on voit que la fin est proche.
Cette discussion ne nous mènera à rien.
Alors délivrez-moi le message, et ne parlons plus.
Soit. Tu l'auras deviné, Il veut son fils.
Et Elle ?
Tu sais bien que...
Oui, je sais, l'équilibre. Ça devient une vieille rengaine.
Que feras-tu ?
Pourquoi me posez-vous la question ? Je vous ai déjà répondu. Et, s'il s'avère que j'ai tord, je vous répondrai de nouveau.
Je pose la question parce qu'Il m'envoie la poser.
Son fils est très bien là où il est.
Ce n'est pas ce que tu disais il y a quelques temps...
C'était avant que je comprenne. Avant que je traverse. Avant que j'apprenne. Avant que...
Avant que tu décides de tout changer.
Oui, avant que je décide d'en finir.
En cela, tu ne fais pas preuve d'originalité.
Le résultat vous surprendra peut-être...
Dans tes discours non plus tu ne fais pas preuve d'originalité.
Ce ne sont pas mes paroles qui doivent être changées. Mais je croyais que vous ne vouliez pas discuter.
Et c'est toujours le cas. Ce débat stérile ne nous conduira nulle part. Dois-je Lui transmettre cette réponse ?
Oui.
Tu sais ce qu'elle a impliqué ?
Oui, et je sais ce qu'elle impliquera.
Bien. Comme tu le voudras.
Inilhier a-t-il compris ?
Que devrait-il comprendre ?
Que vous ne changez pas.
Que veux-tu dire ?
Vous le savez très bien.
Explique-toi.
Le centre approche, et vous êtes toujours là. Au Centre.
Cela te surprend-il ?
Non. Mais Lui, cela devrait le surprendre. Ou alors il est plus naïf que je le pense.
La femme se tut quelques instants, une expression étrange sur le visage.
Je ne vois vraiment pas ce que tu veux dire, affirma-t-elle enfin.
Vous voyez très bien ce que je veux dire. Vous agissez avec lui exactement comme avec tous les autres.
Je crois que tu te trompes.
Vous savez que non, mais vous ne voulez pas l'avouer. Parce que vous avez peur. Peur de moi.
Tu te surestimes. Et tu nous sous-estimes.
Cette réponse prouve à elle seule que j'ai raison.
Elle n'est rien de plus que ce qu'elle semble être.
Exactement. Et c'est déjà beaucoup. Dépêchez-vous de transmettre ma réponse à Inilhier. Vous avez déjà perdu tout ce temps pour me trouver... alors que nous devions nous rencontrer ici.
Et maintenant.
Et maintenant, oui. Comme toujours...
A bientôt. Nous nous reverrons au Centre. Et peut-être alors comprendras-tu ton erreur.
La femme disparut peu à peu, s'estompant dans la brise qui se levait. Le garçon, seul de nouveau, ajouta pensivement :
Oui, Lutia. A bientôt. Peut-être même plus tôt que tu ne le penses...