Divers > L'Asservissement est un commerce...
Auteur : Kemeth
10/01/07 04h44 | 40 Aquan 3725
- Alors ? Cest oui ? Je vous en prie...
Un instant...
Oui, pendant un instant, le pauvre homme avait cru pouvoir obtenir satisfaction. Pendant un instant, il avait cru que son espoir n'était pas vain et qu'il suffisait toujours d'y croire pour faire tomber les obstacles, pour briser les chaînes, pour se convaincre que tout homme avait de la bonté en lui. Certes, il s'était dit qu'il fallait parfois chercher très loin pour la trouver, mais qu'elle serait tout de même là, souriant timidement avec une faible clarté, ne demandant juste quà éclater.
En fait, ses yeux exprimaient une telle naïveté que cela en était ridicule. Tout comme cette atmosphère pathétique qui planait autour de la bêtise dun homme dont les rêves avaient comme limites ceux qui pouvaient les fixer à leur convenance.
- Tu nas pas de chance car tu es mal tombé mon cher ami...
Et voilà... Comme quoi, une phrase suffit à faire pleurer. Les mots peuvent déchirer un cur bien plus vite que ne pourrait le faire une lame. Quelle démonstration pitoyable de sentimentalité... Lhomme était maintenant à genoux et suppliait lamentablement, implorant la pitié dun être qui prétendait ne pas en disposer. Il ne savait pas, non, il ne devait pas le savoir... Que sil continuait à avoir ce comportement médiocre, il allait précipiter sa propre destruction. Il nétait pas chez un simple marchand, il était chez Eigone. Là bas, les caprices, on ne les contentait pas, on les punissait. Puis lhomme changea subitement de méthode de persuasion. Dans sa rage et ses désillusions, il se jeta sur Eigone et débuta une strangulation.
Eigone éclata de rire, autant quil le put.
Le malheureux en face lâcha prise devant lattitude détachée du marchand. Il seffondra. Ses yeux montraient quil cherchait à comprendre pourquoi. Pourquoi on ne pouvait lui accorder une chose qui devrait aller de soi. Mais rien nallait de soi chez Eigone, cétait bien lexplication, seulement personne ne se donna la peine de le lui dire. Personne nessaierait de faire comprendre à un futur mort qui avait la foi, que cétait son acharnement qui lavait perdu.
- Non seulement tes désirs ne seront pas exaucés, mais en plus tu vas perdre la vie... Ah il y a de quoi en perdre lappétit avec. En tout cas le perdrai-je si les morts ne mentouraient pas, mhabituant à eux. Tu te présentes à celui qui peut décider de ton sort, en lui réclamant limpossible, le non négociable. Ce que tu es venu chercher est une vie, oui, mais ce nest pas celle que tu pensais, cest la tienne. Durant les deux jours qui vont suivre, tu vas souffrir comme personne na jamais souffert. Tu seras torturé, physiquement et moralement. Tu sauras rapidement que ces deux jours seront le temps qui sécoulera aussi vite que les grains dans le sablier du restant de ton existence. Tu pourras alors te rendre compte que ta vie nétait pas si mal et que tu aurais voulu la continuer. Tu auras alors trouvé ce que tu cherchais, lenvie de vivre. Ensuite, ton châtiment tombera, car il ne pouvait quaccompagner mon cadeau.
- Vous êtes un monstre...
- Tu me flattes, mais cest me donner trop dimportance. Je ne suis quun être humain qui se contente de faire ce quil peut, en harmonie avec sa nature. Le véritable monstre cest ce monde dans lequel tu es né, car cest lui qui ma également engendré.
Un désespoir profond envahit le pauvre homme dont les yeux étaient fortement rougis par la peine qui avait accablé ses joues de larmes. Il resta immobile devant Eigone qui se jouait de son découragement. Le marchand ordonna à deux hommes demmener limbécile ayant cru avoir la possibilité de partir avec une marchandise, sans payer le dû lui étant réclamé en échange.
- Tuez-moi si vous le voulez... Mais libérez ma fille ! ! !
- Libérer une esclave que je pourrai vendre bien chère ? Elle est si belle. Quelle délicate peau satinée, douce et attirante. Je pense que là où je vais me rendre prochainement, les demandes en seront très fructueuses. Je te félicite pour ton uvre, mais cest moi qui vais en profiter. Enfin... Jen ai déjà tellement profité en ce qui la concerne quil est normal que je pense à présent à mes affaires...
Lhomme, tenu par deux autres, devint fou. Ses yeux semblaient être sortis de leurs orbites. Il hurla des jurons, des menaces, des appels à laide. Il jura de hanter Eigone à jamais, de le rendre fou à son tour et que sil atteignait la route menant au palais de son dieu, il se débrouillerait pour parler de celui qui voulait régner comme un démon, alors quil nétait quun désaxé avec du pouvoir.
- Ma cruauté est ma force, homme insignifiant...
Répondit Eigone, alors quil se retrouvait seul. Le condamné était en train dêtre mené à son lieu de torture et de mise à mort, longues et douloureuses à souhait.
- Nombreux sont ceux qui comme toi ont voulu me voir comparaître devant le jury du ciel. Que la foudre sabatte sur moi si mes agissements ne viennent pas de mon libre arbitre. Je fais ce que je veux car personne ne men empêche...
Et cela lui mina lhumeur. Lui rongea le sourire. Personne ne sopposait à lui et cela prouvait que ce monde était bien le monstre qui permettait que les choses se fassent comme les plus forts lentendaient. Il ny avait pas de place pour la justice. Eigone avait très jeune décidé quil préférait de loin manger les autres que de se faire manger par eux. Il était parti du foyer parental à douze ans. Il était alors tombé sur une troupe de marchands qui lavaient accueilli, mais en posant des conditions qui auraient fini par le faire marcher sur les rotules. Ils avaient voulu indirectement faire de lui un esclave. Lui ! Eigone ! Ah ça non pas question. Il sétait donc débrouillé pour leur montrer quil pouvait les rendre riches, sils le suivaient. Car il avait le don de la vente. Il savait ce que les choses valaient et leur donnait un prix plus élevé, faisant en sorte quil ny ait plus quà le payer ou mourir. Cétait pour cela quil ne vendait à ce moment là quaux particuliers, manipulables, malléables, prêts à tout pour sauver leur misérable vie, ainsi que celles de leurs familles. Et la troupe de marchands lavaient suivi, ils avaient fait sa richesse puis étaient devenus esclaves, trahis et vendus par lui. Il sétait fait ensuite sa propre troupe en choisissant les plus soumis, les plus faibles desprit et en engageant beaucoup dhommes pour le protéger et faire valoir ses décisions.
Aujourdhui, il contrôlait une importante guilde de marchands et avait la main mise sur un large éventail desclaves, allant dun marché clandestin à un autre. Toisant ses concurrents qui lenviaient. Lasservissement était un commerce et agrandissait sa fortune...
- Non... Si le bon avait de quoi contenter... Cela se saurait...
Auteur : Kemeth
27/01/07 13h01 | 57 Aquan 3725
Le corps tombait...
Lacte de tuer ne devrait pas être un spectacle banal. Ne devrait pas être à la limite dune coutume. Cétait pourtant devenu un mode de vie, une façon de faire, une main tendue par la facilité...
Le corps tombait toujours...
Sa chute était au ralenti...
Le sol ne semblait être fait que de sang...
Le corps allait-il sy enfoncer ? Pourquoi, à chaque fois, mettaient-ils autant de temps à tomber ?
Etait-ce le moyen quavaient trouvé ses victimes pour terroriser leur bourreau ? Eigone saignait. Il saignait de lintérieur. Son cur était meurtri par ce quil était lui même devenu. Il mangeait les autres pour ne pas être mangé par eux. Ah quil était beau le résultat. Semblable à un ogre, il marchait sur les corps comme sur des brindilles se chevauchant.
Et à chaque fois quil voyait lune de ses victimes tomber, elle mettait alors des heures à toucher le sol, parfois des jours. Leurs yeux avaient toujours la même lueur. On aurait dit quils étaient vides, mais Eigone y voyait quelque chose, il y voyait une profonde amertume. Et celle-ci coulait ensuite en larmes dans lesquelles se reflétait un démon... Etait-ce son propre reflet ? Il naurait su le dire, mais ce visage maléfique lui souriait dun air de ravissement. Qui peut se ravir de la mort ? Eigone ne sen réjouissait jamais, il faisait ce quil pensait devoir faire, ce qui allait dans le sens de ses intérêts. Après chaque mort, il voulait oublier. Oublier ce quil ressentait devant un homme ou une femme quil avait condamné à mourir. Mais ce nétait pas possible...
Au début il avait voulu faire face à ladversité, se faire violence en regardant toutes les morts de ses victimes, pour arriver à guérir de son impression maladive qui lui chantait les louanges ténébreuses dun homme déchu dont lâme était fichue, noircie par ses mauvaises actions. Mais il lui était très vite apparu quil ne pouvait pas surmonter cet obstacle. Il avait des sentiments humains qui contredisaient sa marche à suivre. Il voulait sen débarrasser mais navait pas encore trouvé comment.
Depuis, il navait plus assisté à la mort de quelquun. Il avait évité de se confronter à nouveau à cette étrange suspension de temps. Jusquà ce jour où un homme tenta de le tuer. Ce dernier se fit abattre par la garde dEigone qui était danciens gardes royaux de la cité Minilienne. Eigone navait pas directement donné lordre de le tuer, mais cette tentative témoignait forcément dune envie de venger la mort de quelquun qui avait succombé sous son ordre direct.
Les heures se succédaient... Les larmes noyaient sa vision... Etaient-elles les siennes ou bien celles de celui qui tombait encore et encore, sans cesse, s'approchant lentement mais inexorablement de sa véritable chute ? Les vêtements du défunt semblaient voler en éclatement d'étoffes autour de lui, comme sil était précipité de haut, comme sil tombait si vite que le simple fait de penser à la mort serait repoussé par la panique. Ces instants durèrent toute une vie. Une vie de conscience dans un monde en stagnation progressive. Une lutte entre le monstre et lhumain. Léternel combat entre le mal et le bien.
- Douloureuse échéance.
Pensa t-il.
- Pourquoi es-tu ? Quand vais-je te comprendre ? Es-tu cette foudre qui devrait sabattre sur moi, ou n'es-tu que la représentation de mon humanité souffrant de ma propre nature ? Je te hais tellement... Cest pour cela que je crois de plus en plus que tu es tout simplement Moi. Tu me fais peur comme je me fais peur, tu fais souffrir à ma façon, tu nes pas insensible car tu rends hommage à un homme qui a voulu se dresser contre moi, je ne suis pas insensible car je pleure de cette perte, comme de toutes les autres. Je dois textirper de mon être et pour cela je dois me débarrasser de mon cur. Je dois faire cesser cette douleur qui va à lencontre de ce que je voudrais être. Je suis le démon qui se bat pour rester démon, tu es lhumain qui souffre à chaque fois que jordonne de prendre une vie. Je taime, et cest là que je me rends compte avec certitude que lamour et la haine sont à peu de choses près similaires. Ils peuvent même vivre en cohabitation, ce qui devient alors le véritable enfer, car les flammes rient devant les pures neiges des sentiments. Japprécie tellement la faculté de ressentir, autant que je déteste cela, car c'est ainsi que l'on se sait vivant. Aurai-je toujours limpression de vivre quand je men serai démuni ? Je le saurai bien assez tôt. Pour le moment je dois assister aux conséquences de mes actes. Merci à toi, homme mort, davoir voulu la mienne et surtout davoir essayé de la provoquer. Tu aurais du venir accompagné... Tu aurais du penser davantage avant dagir... Tu aurais été un adversaire tellement plus digne que peut-être aurais-tu gagné. Que mon âme aurait enfin eu la possibilité dexpier mes péchés. Seulement tu as perdu, et ta mort soulève cet événement que je crains toujours plus fortement, surgissant une nouvelle fois, cette suspension de temps paralyse toute ma personne et la met au supplice...
- Cest peut-être cela qui musera à tel point que je ne désirerai plus que perdre la vie. Cest peut-être lhumain en moi qui a trouvé le moyen à long terme de me battre... Mais non, je gagnerai...
Cela avait donc duré toute une vie dhomme. Le corps avait enfin touché le sol et le temps était revenu à la normale. Eigone en était ressorti très fatigué, spirituellement. Sa détermination à tuer en lui toute humanité nen fut que plus grande et comme le moyen dy arriver ne pouvait lui être offert par lui même, il allait devoir demander laide dune personne à qui lon ne voudrait jamais rien devoir...
Auteur : Kemeth
06/10/07 05h06 | 9 Galan 3726
Les notes de la mélodie ricochent sur les murs de pierre comme autant de papillons sur les parois dune prison darbres. La musique nest envoûtante que pour celui qui la joue.
Je me noie dans ce son si léger. Emprunt de ma grâce et ma douleur, de mon amour et de mes larmes. Jamais je ne pourrai quitter cette vie pour retrouver celle qui me tenait le plus à cur, pour celle qui mapportait la paix dont jai tellement besoin aujourdhui. Je noublie pas que ma tâche est essentielle mais elle est toute aussi ardue. Cest lhistoire de ce monde, peut-être même de tous les mondes, qui rend mon travail nécessaire. Cest le chaos qui gagne tant de curs qui me fait rester dans lespoir dapercevoir un jour un monde meilleur.
Alors je joue. Oui je joue pendant que je le peux encore. Je joue la musique qui sort de mon être et qui emplit mon ouï ensuite. Je joue pour oublier que très bientôt je vais devoir recommencer. Car quand je ne joue pas, jaccomplis ce qui se doit et tente de voir le droit chemin pour pouvoir y diriger les regards de ceux qui dépassent leurs droits dhommes. Jai confiance en lIpséité de mon âme dont la pureté brille puissamment pour mieux éclairer ceux qui ségarent. Ne savent-ils plus quils ne sont que des hommes ? Un homme devrait-il vraiment avoir du pouvoir sur la mort dun autre ? Pourquoi veulent-ils tous croire quun dieu sommeil en eux et dicte leurs actes... Dans le fond, je sais que cest simplement pour leur permettre de les justifier mais comment peut-on se perdre si loin, au point de ne plus distinguer la fragilité de lexistence.
Ainsi lhomme considère quil ny a que sa vie qui est courte et dure.
Ainsi lhomme souhaite faire payer les autres pour ce quil endure.
Il ny a de longévité que dans la souffrance, tandis que les plus belles choses passent si vite.
Pas assez pour nous enlever toutes leurs dépendances, trop pour les regrets dune vie décrépite.
Ahh quand est-ce que cette mélancolie me rendra enfin le service de ne plus massaillir si souvent ? Elle ne doit pas avoir raison de mon courage car jai trop besoin de lui. Je perds même la force de ma musique. Elle correspond parfaitement à mon humeur alors quauparavant, cest elle qui chassait ce que jappellerais mon mal. Maintenant elle est devenue si tachetable que jai peur de la voir seffriter au gré de mes plaintes frustrées par mon silence.
Il marrive parfois de mendormir pendant que je joue. Cest à mon réveil alors que je me demande si les douces mélodies que jai pu entendre dans mes songes auraient pu venir de mes doigts, conduits par leur libre arbitre, inspirés par mon âme qui aurait vogué dans une nuée de sentiments indescriptibles.
Je suis dans lune de ces fois là et je rêve dun étrange endroit. Une salle immense faite de cristal opaque qui recèle dinnombrables instruments. Sur chacun deux, un animal se concentre pour offrir sa part à lorchestre. Cette musique est belle mais si complexe que je ne peux en être lauteur. Peut-être lai-je entendue quelque part mais suis-je en train de la jouer de façon plus basique sur mon piano qui est resté là bas dans le monde réel ?
La musique change en un chant qui devient froid, grave, rocailleux, à mesure que les animaux sentre-tuent pour une raison qui méchappe. Et ce dernier chant me fait penser aux pas dune armée qui part en guerre tout en sachant quil ny a aucune chance de gagner.
Limage dune femme dont le regard est effroyable, elle tombe et tombe encore, aspirée par les flammes dans un cri démoniaque...
Je suis tiré de mon sommeil par un bruit violent et dérangeant. Un bruit qui se trouve être le son sourd et métallique de ma porte se faisant cogner pour avertir dune présence. Cest un coursier qui mapporte une missive. Je savais que cela arriverait car cela arrive toujours trop tôt. Enfin par honnêteté, javouerai quil ny aura jamais de trop tard à mon goût.
« Cher ami des hauteurs,
Nous ferez-vous le plaisir de redescendre parmi nous ?
Nous avons durgence besoin de votre soutien. Notre chère connaissance na pu aller au bout de sa route. Sa perte meurtrit nos curs qui se complairont dans une future guérison. Pour lheure nous et tous les autres vous demandons de nous rejoindre sur cette route qui naura de vraie fin que dans son effondrement. Maudit soit le 38ème soldat qui lentretient.
Merci de nous faire parvenir votre réponse,
Signé : Le plus petit mais non moins grand de vos amis »
Ah ces missives codées. Lordre auquel je fais partie me demande de finir le travail dun agent qui a échoué, apparemment mort en essayant. Jhésite, même sil sagit de la 38ème cible de la liste, un homme pour qui la vie ne fait office que de profits multiples et perpétuels.
Le profit égoïste tels que les crédits... Une des nombreuses choses qui poignardent la raison...
Vais-je encore une fois délaisser mon rôle ?
Je traîne du pied pour accepter quand on me propose une tâche et je réponds favorablement de plus en plus rarement. Mais quand je me lance vraiment alors mon travail ne souffre jamais dincurie. Je désire bien trop détruire le mal qui ronge diverses entités et aider à trancher net sa propagation. Seulement ma motivation semble prise dassaut par mes émotions et cest ma peine qui le plus souvent me freine...
Deux semaines plus tard.
Jai finalement accepté, non sans me faire violence et sans réellement mettre le doigt sur ce qui ma fait dire oui. Cest dommage car jaurai pu user de cela pour la prochaine fois. Les préparatifs sont prêts, mais le suis-je moi ? Il le faudra bien. Jai toujours aussi peur de devoir tuer et de me perdre dans les méandres du chaos. Heureusement, je sais que les choses ne pourront bien se dérouler que si je garde confiance. Y repenser me donne toujours un regain de force, chose qui ne sera jamais de trop.
Cela commence. Nous sommes parés et partis. Les hommes avancent rapidement tandis que je regarde le lieu où réside celui que je suis venu chercher. Comme toujours, je mattendais à une maison glauque, à des murs noirs sur lesquels se dresseraient de sombres statues représentant des squelettes. Les restes des âmes quil aurait troquées contre sa place parmi les plus cruels. Mais comme toujours, cest sur une maison parfaitement normale que je tombe. Si les apparences étaient plus clémentes envers nous alors nous aurions moins de mal à dénicher ce dernier. Jimagine que la facilité nest pas une aide sur laquelle on peut compter.
Lattaque commence et je contourne le champ de bataille. Je mengage dans une suite sans fin de petites rues étroites, un labyrinthe de couloirs extérieurs dans un monde qui transpire la déchéance, visible par la pourriture qui jonche nimporte lequel des endroits où je pose mon regard.
Je fais ma sortie dans une baignade de lumière. Merci au soleil de réchauffer ainsi mon visage pour me rassurer mais maintenant rends moi mes yeux éblouit car ils vont bientôt me servir.
Une patrouille passe près de là où je suis caché. Elle ne se dirige pas vers la bataille mais fait le tour de la maison pour détecter déventuels ennemis. Le temps quelle fasse le tour, jai tout juste de quoi profiter de la faille de leur système. Je maccroche à ce que je peux pour me rendre sur la terrasse du premier étage dont les portes-fenêtres ne sont pas fermées. Un piège ? Peut-être bien mais je suis allé trop loin pour reculer maintenant, alors je pousse les deux battants et pénètre dans la pièce. Dehors jentends le tumulte des combats. Sils savaient seulement que ce nest quune mise en scène, quil ny a pas de réels agresseurs à part moi.
Je traverse la pièce vide et passe dans la suivante. Je me retrouve devant un homme qui observe lextérieur par un trou bien placé dans un mur, certainement invisible de lextérieur. Il se retourne et me voit, sans paraître surpris. Il me fait face, me regarde droit dans les yeux puis jette un coup dil à larme que je tiens dans ma main droite. Je ne la pointe pas sur lui par respect pour ce qui lui reste dhumain. Ses yeux à nouveau dans les miens, un sourire franc sans amertume saffiche sur son visage. Il croise les bras tout en sappuyant contre le mur vers lequel il était tourné quelques secondes plus tôt.
- Tu nes pas du même calibre que le dernier. Toi au moins tu devrais pouvoir me tuer. Enfin ! Enfin quelquun qui sait comment éviter de se faire surprendre bêtement par une balle traversant son corps en mattaquant de front.
Me dit-il sans détacher son regard. Il na pas lair de chercher comment faire pour se tirer de ce mauvais pas. Peut-être le sait-il déjà ou bien y a-t-il une alarme camouflée quil aurait déclenchée. Cela expliquerait son calme si pesant, si dérangeant. Je ne me laisse pas impressionner mais son comportement nest pas lhabituel instinct de survie quont généralement ceux que je pourchasse.
- Je suis ici pour faire cesser cette folie, Eigone. Une folie qui, pourrait-on croire, est devenue ta religion.
- Nulle religion. Seulement ma nature, une prise de conscience qui date maintenant de plusieurs années. Mais pourquoi perdre ton temps à vouloir mexpliquer la raison de ta venue ? Cest un effort inutile car je le sais déjà. De plus je ne lai moi même pas accordé à mes victimes, ou bien à très peu. Fais ce que tu as à faire.
- Parles-tu de mourir ? Le désires-tu tant ? Je te trouve bien pressé de sentir les balles de ce pistolet passer de son chargeur à ta peau.
- Disons que jaccepte le sort que lon me réserve, si tant est que lon puisse men réserver un. Et jusquici ce nétait pas le cas. Dailleurs je commence à douter de ton acharnement, vas-tu aller au bout de ce que tu voulais accomplir ? Vas-tu me tuer ?
- Mes intentions ne te regardent pas. Montre-moi plutôt comment rejoindre le toit. Je surveille bien entendu chacun de tes mouvements alors à moins que tu veuilles en effet mobliger à te tuer sur le champs, tu ne feras pas décart.
Eigone a un petit rire, tandis quil me montre le chemin du toit.
- Tes intentions me concernent directement alors ce doit être lune des choses qui me regardent le plus en ce moment même.
Me dit-il pendant que nous montons.
- Je te laccorde. Seulement comme elles sont miennes et que tu ne pourras rien faire dautre que les subir, cest donc à moi de décider si oui ou non elles te regardent.
- Je sens en toi une certaine hésitation dans ce que tu entreprends. Vais-je être jeté de mon propre toit ? Je me suis toujours demandé ce que lon peut ressentir quand tous nos os se brisent dune même voix, ou plutôt dun même cri.
- Tu auras tout le loisir de crier. Je sens en toi une certaine inquiétude au sujet de ce qui va tarriver, toi que je trouvais si calme.
Il sourit, tout comme moi. Nous sommes sur le toit et nous nous faisons face à nouveau. Il mobserve avec curiosité comme si je lintriguais au point de ne pouvoir mourir dans la sérénité. Puis il regarde autour de nous, cherchant certainement des yeux les hommes que jai payés pour ne plus défendre précisément ce point. Cest en ce moment que ma volonté est mise à rude épreuve, car il est à ma merci. Si je le souhaite, je peux mettre fin à ses jours, mettre un terme une fois pour toutes à ses agissements de façon expéditive. Jentends presque son imagination défiler hors de lui pendant quil pense vivre ses dernières secondes. Ses paupières se ferment. Il respire profondément, de son être déferle une vague inspirant une paix longuement attendue.
- Je suis prêt.
Dit-il dans un souffle à peine audible.
Son regard se perd dans le ciel bleu, dégagé du moindre nuage. Un léger vent avec tout juste ce quil faut de fraîcheur apaise mon visage. Aujourdhui encore, je ne vais pas faiblir. Mon plan va se dérouler comme je lai prévu.
- Moi non. Garde tes envies de mort pour toi ou ton prochain agresseur.
- Cest stupide. Tu serais venu seulement pour mavertir de ne pas continuer ? Tu as loccasion de me tuer et ceux qui tenvoient seraient certainement ravis que tu le fasses. Sache quil ny a rien qui pourrait me faire arrêter, pas même tes menaces.
- Nous verrons bien. Tu devrais lever la tête, peut-être apercevras-tu ce qui vient vers nous.
Un chasseur est en approche et Eigone ne parait toujours pas surpris. Son absence de réaction semble si naturelle chez lui, je commence à douter quil reste réellement une once dhumanité en cet homme. Son cur serait gris et froid que cela ne métonnerait pas.
Une fois à bord du vaisseau, je donne les instructions au pilote qui lance un regard noir à notre prisonnier. Il maccorde le même pour me reprocher de ne pas lavoir supprimé, mais il sait que je nai pas de compte à lui rendre alors il ne sattarde pas et exécute ce que je lui ai demandé. Le voyage ne dure pas une éternité car notre destination se trouve à proximité de la planète. Lendroit sur lequel nous nous rendons est dailleurs déjà en vue, Eigone le remarque.
- Quest-ce que cest exactement ? Cela ressemble à un assemblage dépaves dont les minables capitaines nauraient pu se défaire.
- Cest un bâtiment spatial pénitentiaire. Un complexe de plusieurs transports fusionnés et aménagés pour accueillir des prisonniers gouvernementaux, du moins officiellement.
- Et bien quoi ? Officieusement cest un bal masqué ? Quelle étrange idée de memmener dans un lieu de torture sous couverture. Si cest pour une exécution cest encore plus ridicule alors que tu aurais déjà pu le faire sans mal.
- Tu ny es pas. Cest ici que nous réduisons à lesclavage les prisonniers les plus teigneux. Tu vas endurer ce que des milliers de personnes ont vécu à cause de toi, tu vas devenir esclave. Cest bien plus cruel que la mort et cela te fera changer.
- Quelle touchante attention. Mais je ne changerai pas.
- Tu ne sais pas encore ce qui tattend. Tu vas pouvoir trouver une meilleure voie à suivre.
Eigone rit.
Lappareil atterrit. Nous descendons pendant que plusieurs gardiens viennent à notre rencontre pour « installer » Eigone et me remettre ce quil me faut. Le prisonnier est emmené en cellule avant dêtre affecté à une zone de travail forcé.
Le jour suivant.
Je sors de ma chambre et me dirige vers la zone B. La chaleur qui y règne est difficilement soutenable. En plein milieu se trouve un puits de lave en fusion servant aux multiples forges qui lentourent. On y confectionne des outils en acier pour les autres zones, telle que la zone F, là où on fait creuser des détenus dans de la roche cristallophyllienne afin de permettre à la zone A de sadonner à la sculpture et la découverte dautres métiers artistiques. Je parcours la zone B et marrête devant le prisonnier 38B456194 EIG, que je vais continuer à appeler Eigone pour ne pas avoir à retenir ce que je ne considère pas être une désignation.
- Est-ce que ton séjour est reposant ?
Il se retourne suite à ma question et me sourit. Résolu à ne pas me montrer de faiblesse.
- Merveilleusement. Il me fallait justement des vacances, je vais pouvoir maérer lesprit.
- Tu acceptes la mort mais ne tavoues pourtant pas vaincu... Demain nous te ferons creuser pour voir si tu apprécies.
- Jai hâte. Pour combler mon bonheur il faudrait que juste avant, nous ayons au menu du flanchet aux herbes, mon plat préféré !
Il sourit. Me nargue-t-il ? Certainement. Puis il demande :
- Que fais-tu accoutré comme les gardiens ?
- Je serai gardien pendant toute la durée de ton incarcération. Histoire de tavoir à lil.
- Je vois. Par hasard, ne serais-tu pas également adepte des sévices corporels dans le cadre du sadomasochisme ? Il faut être dérangé pour faire tout ce que tu fais. Jai mal perçu ton calibre apparemment, tu nes pas de taille, tu es juste aliéné.
Je ne réponds pas. Je reprends mon chemin en sifflotant lair de mon dernier rêve.
Son moral nest pas encore atteint mais jai bon espoir que cela change. Le stade de la remise en question pourra alors se déclencher, suivi par un virage spirituel. Jai assisté au revirement de plusieurs monstres et cest à chaque fois un pas toujours plus grand vers un monde meilleur. Celui-là nest pas différent, il craquera comme les autres et deviendra un homme bon.
On dit de moi que je suis naïf, que mon idéalisme est comparable à celui que pourrait avoir un nouveau né en pensant arriver dans un univers peuplé de bonté, où le maître mot serait respect.
Evidemment, ceux qui mont envoyés auraient préféré un simple assassinat, mais atténuer le mal par le mal ? Je ny crois pas. Je suis peut-être naïf mais je reste persuadé que lhomme nest pas perdu. Ce que jai pu voir durant mes précédentes missions a renforcé cette conviction.
Voilà deux semaines que je suis ici.
Eigone na toujours pas lair affecté par sa condition. Il ne doit pas penser que tout ceci est éprouvant. Comme tous les jours, je men vais lui rendre visite. Je vais lui accorder une petite pause pour que lon discute plus longuement, pour voir sil tient tant le coup que cela.
Nous marchons lentement dans un couloir éclairé par des halogènes fixés au plafond. Je regarde droit devant moi en réfléchissant à ce que je vais lui dire, il regarde à travers les hublots qui donnent sur lespace.
- Les étoiles...
Dit-il en hochant la tête, lair émerveillé. Il continue :
- Je suis comme elles. Quoi quil arrive, je ne changerai pas. Et même après ma mort je serai encore présent, de par mes actions qui ont touché bon nombre de peuples.
- Est-ce pour cette raison que tu as fait tout cela ? Tu souhaites laisser une trace dans le monde, dans lhistoire ?
Il rit. Ses bras se croisent dans son dos tandis que jessaie de le cerner. Qui est cet homme qui ne semble jamais démuni contre ce qui lentoure, contre ce qui paraît glisser sur lui sans pour autant le toucher... La folie destructrice dont il souffre na pas une fois été évidente. Comme si ce nétait pas celui qui est dans la liste des plus cruels. Je douterais de cela si son calme et son sourire confiant ne continuaient pas à scintiller sans perdre déclat un seul instant. Ce nest pas une attitude normale pour un homme enfermé, soumis au travail forcé. Non vraiment, je narrive pas à le cerner.
Il me répond :
- Non. Cest une constatation de dernière minute qui ma sautée aux yeux en même temps que toutes ces magnifiques boules de feu. Tu as vu comme elles sont reines dans lespace ? Elles resplendissent dans un monde noir qui le serait totalement sans leur présence. Il les contient mais ce sont elles qui règnent. Lui ne permet pas la vie, la chaleur, la beauté autre que ce que nous fait ressentir ce vide sidéral dans lequel lobscurité devrait faire sa loi. Mais les étoiles le défient, elles nont pas sa grandeur cependant leur nombre et leur beauté le surpassent.
- Je suis daccord avec toi. Pourtant si lon compare notre monde et celui-ci, tu es du côté de lespace, pas des étoiles.
- Je suis entre les deux à vrai dire. Mais je nai pas à me justifier auprès de toi. Si tu veux me punir ce nest pas comme cela que tu y arriveras, tu finiras perdant. Je ne faisais quadmirer ce spectacle, ne ramène pas tout à ton monde. Je me demande vraiment quel est ton problème à toi.
- Tu ne me feras pas croire que ce nétait pas une comparaison, cest seulement que tu ne veux pas me livrer ta pensée. Je ne sais pas ce qui te fait tenir mais je vais devoir resserrer la vis. Tu changeras Eigone, tu changeras tout comme le monde. Et vous serez bienveillants dans lavenir.
- Pauvre fou. Tu veux changer le monde ? Tu me rappelles quelquun daussi dérangé qui combat pour une cause qui est juste à ses yeux. Sauf que lui au moins, il ose utiliser tous les moyens possibles pour atteindre son but. Ta façon de faire est trop longue et incertaine. Dailleurs ce nest ni aux autres, ni au monde que tu penses en agissant ainsi, cest à toi seul. Nest-ce pas ? Tu penses être juste. Ëtre trop bon pour tabaisser à ce qui pourrait te faire te sentir coupable. Tu as peur pour ton âme, comme si elle représentait quelque chose. Cest absurde, tu narriveras à rien si tu continues comme cela.
- Contrairement à ce que tu peux en dire, jai déjà eu des résultats de par le passé. Mais il semble que tu ne comprennes toujours pas, je vais donc alourdir ta peine.
Il me répond par un hochement de tête, comme si jétais celui qui ne comprends pas.
Deux autres semaines sont passées.
Aucun signe de faiblesse chez Eigone alors quil cumule les tâches les plus lourdes. Il est temps que jaccentue ses maux. Je suis dans la salle de repos des gardiens et je réfléchis. Cette salle est apaisante, elle maide à penser. Lun de ses murs est couvert dobjets en tout genre, faits dans une matière à la limite du transparent, ce doit être du verre qui provient de la zone F. Mes yeux sont souvent attirés par lun de ces objets, un piano étincelant qui me rappelle le miens. Il m'attend chez moi pour que je puisse encore jouer. Sur un autre mur, plusieurs écrans affichent diverses images vectorielles. Chacune dentre elles est une part de la suivante, formant dans leur globalité un visage intriguant. Les deux autres murs sont occupés par des appareils électriques ainsi que des tableaux daffichage colorés de mille tons. Une salle vraiment agréable qui jure avec lambiance des zones alentours.
Je me suis décidé sur ce que je vais faire. Je marche dans les couloirs, cherchant au sol la force daller au bout, car je le dois au monde. Est-ce que je fais fausse route ? Vais-je pouvoir agir ainsi en gardant intacte ma foi envers le bon ? Jimagine que parfois, il faut pousser les choses pour le bien de ce que lon croit juste, pour la bonne cause. Mais cest tellement difficile dêtre un instrument exécutif.
Je suis dans la zone B et je viens de parler à deux prisonniers. Ceux là vont mêtre utiles et sil savère quils travaillent proprement, efficacement, discrètement, je pourrai bien les prendre sous mon aile pour de futures tâches à leur sortie. Jaurai besoin dassistants permanents.
Je me trouve à plusieurs dizaines de mettre de Eigone. Appuyé contre un mur, les mains dans les poches, je ressasse le passé pour ne pas oublier ce qui me fait courir après les démons. Mon démon à moi est peut-être justement cette responsabilité qui puise ma vie, me fatiguant physiquement, nerveusement, moralement... Quelle ironie...
Eigone est au bord du puits dont la lave quil contient chauffe latmosphère presque autant que mon cerveau. Eigone est en train de discuter avec lun des nouveaux gardiens. Ce dernier semble en colère, ou bien a-t-il envie de montrer limportance quil accorde à son nouveau poste ? Je ne sais pas vraiment mais cela marrange, tant que Eigone récolte les foudres, cela ne pourra que me servir. Jattends que le gardien sen aille afin dassister à ce qui va suivre, à ce que je lui ai réservé. Lui dont la dignité semble être taillée dans lacier quil travaille, pareil à un roi dun autre monde bien lointain, un de ces Mérovingiens que lon conte sans en connaître la provenance étant donné que cela nappartient pas à lhistoire du système Galacticain. Un roi qui serait déchu mais qui garderait sa fierté jusquà la mort. Nous allons voir sil le pourra vraiment, sil ne fondra pas.
Le gardien séloigne enfin. Quand il nest plus en vue, je fais signe aux deux prisonniers que jai en quelque sorte loués pour maider à faire de cet homme, un bien meilleur. Ils sapprochent de lui avec toute la prudence que je leur ai conseillée, ne voulant pas éveiller le moindre soupçon sur mon implication dans ce qui va arriver. Les choses se passent rapidement, ils se jettent sur Eigone et le couvrent de coups, même quand il est au sol, ne pouvant riposter aussi bien que sur ses pieds. Je ne peux mempêcher de sentir une certaine satisfaction à le voir souffrir. Dois-je men vouloir pour cela ? Après tout, ce que je cherche à faire nest pas des plus simples, puisque la possibilité de changer un homme nest pas donnée à tout le monde.
Une jeune prisonnière court vers moi, lair énervé, comme si javais tué ses enfants. Elle attrape mon bras gauche et commence à me tirer vers lendroit où se déroule la correction.
- Pourquoi vous nintervenez pas ? Il est en train de se faire battre à mort ! Sauvez-le !
Me dit cette petite naïve. Des larmes coulent sur ses joues alors quelle essaie de me convaincre.
- Pourquoi tinquiètes-tu de ce qui peut lui arriver ? Tu ne le connais pas et pour le moment tu ferais mieux de ne pas chercher à le faire.
- Cest un ami ! Sauvez-le...
Je ris.
Les deux prisonniers me regardent. Je hoche la tête pour leur faire comprendre quils ont accompli ce que jattendais deux. Ai-je eu tord... Eigone est à terre, ses vêtements déchirés ici et là. Moi et la jeune femme le rejoignons. Elle laide à se relever. Son visage accuse des bleus qui le font grimacer, mais quand il me voit il sefforce de sourire, et réussit mieux que je le voudrais. Certainement une façade devant moi.
Il se met à rire tout en sasseyant, la jeune prisonnière laide du mieux quelle le peut.
- Ainsi donc tu menvoies tes hommes parce que tu nes pas content de me voir résister, toi le chef du gang des bacs à sable. Félicitations, tu peux considérer que tu sais à peu près ce que lon ressent en tant quhomme imposant ses intérêts sans écouter autre chose que ses propres mots. Réussis-tu à accepter le mal pour un soit disant bien au final ?
- Ce nest pas tant un mal que cela, puisque les coups qui ne tuent pas nous rendent plus forts. Tu craqueras dans ce but Eigone, il le faudra bien car je ne peux me permettre de tuer.
- Je tobligerai à le faire, ne serait-ce que pour te prouver la stupidité qui tanime. Tu penses dailleurs pouvoir mavoir simplement en me faisant ruer de coups ? Il va te falloir user de beaucoup plus dingéniosité que cela. Regarde mon sourire, toi dont je ne connais pas le nom et qui sobstine à vouloir changer les hommes sans prendre en compte le fait que leur nature ne le permettra jamais.
- Pourquoi vous acharner ainsi sur lui ? Cest un homme tellement gentil.
Me dit la jeune femme. Je la regarde, incrédule.
- Tu as réussi à lembobiner à ce que je vois Eigone. Pour ce qui est de mon nom, appelle moi Ikinaï, javais en effet oublié de me présenter. Il faut dire que cela a tellement peu dimportance.
Il sourit et regarde la prisonnière.
- Je te laccorde, je nen avais rien à faire en vérité. Pour ce qui est delle, il faut bien quun homme assouvisse ses pulsions.
Celle-ci ouvre de grands yeux en se tournant vers lui.
- Qu.. ? Quest-ce que tu oses dire ! Nous sommes amis ...
- Tais-toi donc. Tu offres ton corps à qui le veut ici non ? Eh bien je le veux.
La prisonnière se lève. Elle semble ne pas le croire, ou ne pas le vouloir. Son regard sétend aux alentours et son visage prend la forme dun masque de foire, celui dont la larme reste accrochée à lun de ses yeux. Sa respiration saccélère, comme si elle manquait dair, donnant la forte impression quelle panique. Eigone se met à rire ce qui renforce la réaction de la prisonnière. Elle recule, jetant des coups dils un peu partout, avant de fixer son regard derrière Eigone. Soudain, comme si elle venait de perdre le restant de son goût pour la vie, elle se met à courir en direction du puits. Je réalise son geste et essaie de len empêcher, tendant le bras pour la rattraper, mais cest trop tard, elle tombe dans le puits. Cest alors que le temps se fige. La prisonnière reste en lair avec sur le visage une expression effroyable. Plus rien ne bouge sauf sa tenue qui se retrouve secouée de toutes parts. Le tissu ne se déchire pas, il ne fait quonduler sévèrement dans une fluidité qui ne saccorde pas avec le reste. Quest-ce qui se passe ? Je me rends compte que je suis collé à Eigone qui est également penché vers le fond du puits, vers cette folle qui nous montre la capacité à rester coincé dans un espace vide. Plus rien ne se passe et je sens que la gravité compresse mon corps pour le rompre. Je narrive même pas à trembler alors que ma peur est à son paroxysme. Cest alors que la musique de mon rêve vient faire ralentir mon cur. Sa beauté calme la panique qui mavait à mon tour envahi. Je me concentre sur la mélodie... Tant et si bien que jai limpression den voir les notes voler autour de moi.
Le temps revient enfin à la normal et jassiste bien malgré moi à la mort de la prisonnière. Je tombe à genoux... Que sest-il passé... Et quest-ce qui a pu lui prendre... Suis-je à ce point aveuglé par le mal que je narrive même plus à aider les autres ? Suis-je allé trop loin et devenu fou ? Je regarde Eigone qui paraît aussi soucieux que moi, pour une fois.
- Quest-ce que cétait bon sang ! Le temps qui sarrête, cest une chose impossible.
Eigone lève les yeux sur moi, enfin une réaction, il a lair étonné.
- Tu as vraiment vu tout cela ? Le temps qui se fige et cette idiote qui reste en lair sans tomber ?
Je lui réponds oui de la tête.
- Je ne comprends plus rien, tu naurais pas du également vivre cela. Et puis cette musique, cest la première fois que je lentends...
- Ce nest pas la première fois pour moi, et cétait celle-ci précisément, dans lun de mes rêves.
Eigone fronce les sourcils. Puis il se lève en me disant dattendre ici. Je ne peux de toute façon pas bouger, une étrange fatigue sest emparée de moi. Mais lui na pas lair de la porter, il se dirige vers lun des nouveaux gardiens et lui parle. Sil veut me dénoncer il na quà le faire, cest sa parole contre la mienne.
Il revient et sassoit à mes côtés. Jai les yeux en lair et jessaie de retrouver la force de me relever.
- Je pensais que cétait ma part dhumanité qui me punissait à chaque fois que quelquun mourait devant moi par ma faute, mais il ta suffit de me toucher à ce moment pour être plongé en plein dedans. Cest peut-être une malédiction...
Dit-il en se parlant à lui-même. Il est redevenu lêtre intouchable qui me déstabilise.
- Tu vis cela à chaque fois que tu fais tuer quelquun ? Et pourtant tu as continué... Quel démon peut thabiter.
- Je ne vais pas laisser quiconque ou quoi que ce soit me changer en ce que je ne veux pas être, je te lai déjà dit. Bien, je pense que maintenant les deux hommes que tu mas envoyés sont morts. Et les affrontements entre les clans vont commencer. Relevez-le.
Ordonne-t-il en sadressant à deux nouveaux gardiens qui sortent de je ne sais où.
- Je te présente quelques uns de mes hommes, Ikinaï. Les nouveaux gardiens en sont tous. Et petite surprise qui vaut largement leurs payes : Ils ont réussi à monter entre eux tous les clans de cet endroit en peu de temps. Cest admirable, quel beau spectacle auquel tu vas assister.
Je le regarde, la bouche grande ouverte. Les deux gardiens me relèvent et magrippent, mempêchant de marcher. La tension monte au sein de la zone et en effet, plusieurs gardiens se sauvent en voyant des groupes de prisonniers armés doutils se former et commencer à se battre les uns contre les autres. Les deux hommes qui me tiennent menlèvent de force ma tenue de gardien et moblige à enfiler celle dEigone, me faisant ressembler à un prisonnier.
- Arrête Eigone, tu ne peux pas faire cela ! Jai tout fait pour que tu deviennes un homme bien !
Il rit.
- Et que peut apporter le bien, positivement parlant ? Regarde toi, tu nas cessé de vouloir changer les autres pour « Un monde meilleur ». Et quest-ce que cela ta donné ? Tu vas te retrouver esclave, tu vas peut-être devoir tuer pour rester en vie, tu as fait tuer deux hommes qui nauraient pas du mourir aujourdhui, et tu vas bientôt les rejoindre... Est-ce que tu suis lironie de la vie ? Elle te souffle quelle est belle, te chuchote que ton âme et ton karma doivent rester « purs ». Et quand tu lécoutes, je me joue de toi. Qui de nous deux sait le mieux quelle voie suivre en y repensant ?
- Tu veux dire entre une vie de droiture et une vie de mensonges, de meurtres et jen passe ?
Plusieurs corps sont déjà au sol, inertes. Trois prisonniers entourent un homme et lui font goûter leurs armes avec sauvagerie. Du sang sécoule comme une multitude de flaques qui se rejoignent et deviennent marre. Tout le monde marche dedans sans se soucier de ce que cest. La folie a pris possession des lieux. Ma vue est étrange car je vois tout cela de façon très claire, comme si jétais sous psychédélique. A moins tout simplement que ce soit là le résultat visible dune poussée soudaine dadrénaline.
Eigone sourit et me dit :
- Regarde tout cela. Si le monde est infesté par le mal cest parce quil est lui même le mal. Il se ronge de lintérieur pour chaque jour devenir davantage lenfer. Ce monde nous déteste, je ne fais que lui rendre sa haine pour pouvoir labattre. Et pour cela je ne peux me permettre daimer mes semblables sous le simple prétexte quils ny peuvent rien.
- Allons donc quest-ce que tu racontes ? Ton ennemi cest le monde et tu veux le combattre ? En tuant le plus de personnes possible ? Tu es plus atteint queux encore...
- Ces morts me permettent détouffer les dernières parcelles dhumanité en moi car je nai pas de quoi le combattre dans mon état actuel. Si le monde ne peut être vaincu alors je perdrai, mais bien que tu te sois leurré et quelles que soient nos différences, nous savons tous les deux quil faut tout de même essayer sous peine de ne pouvoir se le pardonner.
- Tu souhaites devenir un monstre pour combattre le mal. Si je ne saisis pas lironie de la vie, je saisis en tous cas la tienne. Tu ne comprends pas que les morts que tu engendres font partie de ce mal ? Tu veux le combattre mais tu lalimentes. Le monde est ce que lon en fait et rien dautre. Cest lhomme qui penche vers le bon ou le mauvais, personne dautre.
- Ah le bon et le mauvais, la mort et la vie, labandon et le combat. Tu te doutes bien que tout nest pas soit blanc soit noir... Je suis gris pour entacher le noir. Ensuite je serai noir pour remplacer celui-ci.
- Tu divagues...
- Tu es lassant avec ton histoire de bien, tu lexposes en avant comme si nimporte qui allait en être charmé et te suivre dans ta croisade contre ce que tu penses être le mal. Tu ne sais rien, tu ne sais pas ce quest réellement le monde. Et de toute manière tu ne seras plus là pour voir si javais raison ou non, donc cela ne sert à rien den discuter. Adieu Ikinaï, ce fut une expérience tout de même intéressante.
- Bien sûr que cela peut servir ! Il y a une part de toi qui sait tout ce que je te dis. Il y a ton bon côté qui te somme darrêter cette folie ! EIGONE TU DOIS REVENIR A TOI ET CESSER DE LAISSER TES PEURS TE DIRIGER....EIG...
Mais il nécoute plus. Il séloigne avec ses hommes. Japerçois un peu plus loin une unité de gardiens prête à donner lassaut sur nous tous. Jaimerais pouvoir fuir pendant quil en est temps, mais je ne peux toujours pas bouger, je manque trop de force. Jespère quils me croiront sur mon identité...
Cette nuit, seule la douleur de ma solitude maccompagne. Cette nuit, seule sa compagnie me tient éveillé pour rester en vie. Je suis un trompé qui n'a d'autre personne à blâmer que lui même. Je suis le désespéré qui va devoir rétablir ce qui devrait déjà lêtre. Et puisque jamais il ne changera, alors cest moi qui vais changer...
Au détriment de mon âme.
Auteur : Kemeth
06/10/07 05h07 | 9 Galan 3726
Les nombreuses colonnes de terre sélevaient plus loin que la portée dun regard. Peut-être était-ce dû au manque flagrant de clarté dans cette salle qui était la principale des lieux, celle dans laquelle simposait Le Trône de Pierre.
Il régnait ici une atmosphère lourde et oppressante. Le mortel le plus robuste aurait flanché ne serait-ce quen respirant une bouffée de cet air des plus acides. Les quelques rayons passant à travers les vitraux, espacés à plusieurs dizaines de mètres du sol, avaient la couleur et la consistance du sang, tout comme ce que contenait la fontaine centrale qui envoyait autour delle des gouttes généreuses sans cesse remplacées.
Les créatures gardant les doubles portes navaient pratiquement plus forme humaine. Des yeux turquoises et une chevelure de braise, leur peau plus sombre que la couleur noire semblait capturer les reflets de lumières qui napparaissaient jamais. Leur grondement aurait pu déchirer la nuit si toutefois elles avaient osé en user, car cela reviendrait à défier le Maître en personne, puisque son souhait était de nentendre aucun son dans sa gigantesque demeure afin de pouvoir apprécier davantage ceux qui assouvissaient ses instincts démoniaques.
Ainsi, alors que le silence se prolongeant dans les couloirs déserts et glacés résonnait du timbre de la mort, lon pouvait parfois entendre un raclement de gorge, suivi aussitôt par un rire aigu et froid. Un rire dépourvu de vie et de joie qui acclamait sans fatigue le dépérissement des prisonniers sentassant dans les geôles.
Le Seigneur Darius était celui à qui appartenait ce territoire souterrain. Un être inconnu de tous alors que sa portée sétendait jusquau plus petit état. En effet ses créatures déguisées faisaient partie de tous les peuples. De cette façon, il pouvait se tenir informé et entreprendre ses recherches sur la volonté humaine, sur ce qui pouvait les faire vibrer, souffrir, pleurer et implorer la fin. Il cueillait des hommes comme eux-mêmes avaient cueillies les fleurs auparavant. Il les testait, les torturait, les tuait et plus encore...
Souvent de fois, il se demandait quelle était sa préférence en tant que projet, entre la fin de tous ces êtres inutiles et leur souffrance infinie qui alimenterait en échos ses envies dhurlements. Cétait sans doute les deux, et ce paradoxe le retenait depuis longtemps, toujours plus, de mettre à exécution ses divers plans qui de par ce fait ne pouvaient saccorder.
Cest pour quoi, il décida de chercher du sang neuf à corrompre, à prendre sous son aile, pour en capter les conseils bons à prendre. Il lui fallait enfin connaître son plus grand désir et cela, il avait pu sapercevoir quil ny arriverait pas seul.
En sondant le cur des hommes à travers ses créatures dispersées partout, il descella plusieurs noirceurs prometteuses. Il y avait parmi celles-ci les plus cruelles, les plus ignobles, les plus sadiques, les plus maléfiques, mais aucune dentre elles narrivait à la cheville de celui qui retint le plus lattention de Darius. Oui, cet être là nétait pas comme les autres. Pour porter en son sein la pure noirceur il ne fallait pas seulement être un assassin. Il ne fallait pas seulement être responsable de millions de morts, car ceux là nétaient que des chefs détats. leurs actions navaient pas pour autre but que la gloire, la richesse, le pouvoir. Non, aux yeux de Darius, la noirceur à létat pure ne pouvait habitait que celui qui faisait le mal pour faire le mal sans perdre la tête pour autant, que celui qui se complaisait dans la terreur et langoisse des autres.
Un tel être pouvait exister, mais il nétait pas encore prêt. Il lui restait encore beaucoup de son humanité à détruire et Darius prenait conscience quil allait lui falloir de laide pour y parvenir... Une aide efficace car jamais un être semblable au Seigneur Darius navait existé avant lui. Un être ayant épousé avec délectation les profondeurs du néant, ce même néant qui peu à peu, se propageait et travaillait dans le but ultime dôter sa liberté au monde...
« ...Eigone, viens à moi... »